Amine Aït-Chaalal (UCLouvain): "Joe Biden n'a pas un boulevard devant lui"
Pour Amine Aït-Chaalal (UCLouvain), Joe Biden a eu le temps de préparer un début de présidence en contraste avec une image apathique... mais il n'a pas pour autant carte blanche.
La cérémonie d'investiture de Joe Biden, ce mercredi, ne ressemblera à aucune autre: marquée par la défection ostensible du président sortant; par l'absence de la foule qui traditionnellement se réunit pour l'événement (et d'ores et déjà remplacée par un parterre de 200.000 "stars and stripes"); et par l'état de siège dans lequel est plongée la capitale d'un pays qui redoute de nouvelles violences politiques. Joe Biden pourrait pourtant avoir un léger sentiment de déjà-vu ce mercredi: comme lors de son arrivée en tant que vice-président de Barack Obama, en janvier 2009, il est confronté à une crise d'une ampleur inédite, souligne Amine Aït-Chaalal, professeur de relations internationales à l’UCLouvain. Sauf qu'à l'époque, le président républicain sortant avait tendu la main à son successeur: "Il y avait eu une sorte de co-gestion vu la gravité des enjeux – l’équipe Bush sortante a informé et même consulté de manière très régulière l’équipe Obama entrante sur les décisions qu’elle allait prendre." Douze ans plus tard, même salle, autre ambiance.
"La coutume, la tradition, la courtoisie et l’élégance sont que les sortants sont là. Le président Donald Trump a décidé de ne pas être là, et au regard des quatre années qui précèdent, c’est l’inverse qui aurait été étonnant."
Il n'y aura pas à proprement dit de passation de pouvoir, puisque le président sortant sera absent à l'investiture de Joe Biden. Est-ce un problème?
Techniquement, non: sa présence n’est pas un prescrit constitutionnel. La coutume, la tradition, la courtoisie et l’élégance sont que les sortants sont là. Le président Donald Trump a décidé de ne pas être là, et au regard des quatre années qui précèdent, c’est l’inverse qui aurait été étonnant. Ceci dit, la transition a bien lieu au niveau des départements ministériels, même si elle a mis un peu de temps à se mettre en œuvre. Mais quel contraste avec les dernières transitions. En 2001, le vice-président qui avait proclamé la victoire de George W. Bush puis assisté à sa cérémonie d'investiture était Al Gore: battu à la présidentielle alors même qu'il avait obtenu 500.000 voix populaires de plus que son adversaire républicain. Il avait fait un discours très élégant expliquant qu’ainsi fonctionnait la démocratie américaine. À chacun son éthique.
"On faisait à Joe Biden le reproche de n’être pas d’un dynamisme débordant, là il a eu le temps de préparer son arrivée."
Joe Biden promet un début de mandat très actif, sur la vaccination, l'économie mais aussi le climat, la migration, les droits des minorités... Les 100 premiers jours d'un président américain sont toujours aussi chargés?
Il y a bien sûr un contexte particulier: une grave crise médico-sanitaire, économico-sociale, la crise des relations entre communautés, la crise des mouvances politiques nécessite des mesures dynamiques de la part du nouveau président. Mais aussi, il y a cette tradition des "100 days" qui donne le tempo. On faisait à Joe Biden le reproche de n’être pas d’un dynamisme débordant, là il a eu le temps de préparer son arrivée.
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Il prévoit de revenir rapidement sur des mesures phares prises par son prédécesseur: peut-il en même temps réconcilier un pays profondément divisé?
Il avait bien insisté sur ces mesures dans son programme électoral, donc il n’y a pas de surprise. Mais lorsque les organes médiatiques ont proclamé sa victoire quelques jours après l’élection, il a fait un discours qui se voulait rassembleur et où il a mis l’accent sur les personnes qui n’avaient pas voté pour lui: il a évidemment très vite compris qu’un des enjeux majeurs était que la nation américaine se réunisse. Cela correspond à sa personnalité: il a été sénateur pendant très longtemps, a longuement négocié avec ses partenaires démocrates et républicains.
"Même avec une majorité, le président doit négocier: il ne peut pas compter sur une discipline de vote."
Avec un Congrès majoritairement démocrate, Biden a-t-il carte blanche?
La majorité démocrate à la Chambre n’est pas phénoménale et le Sénat est partagé, donc la vice-présidente Kamala Harris, présidente ex-officio du Sénat, peut le départager. En outre, une majorité n’est pas acquise pour l’ensemble du mandat – pour mémoire, Barack Obama et Bill Clinton avaient tous les deux un Congrès démocrate en arrivant, mais ils ont perdu cette majorité aux élections de mi-mandat suivantes. Et même avec une majorité, le président doit négocier: il ne peut pas compter sur une discipline de vote comme on peut la voir en Belgique ou en France. Donc non, il n’a pas tout à fait carte blanche. Il devrait signer dans les premiers jours de son mandat un certain nombre de décrets présidentiels qui lui permettent d'avancer seul, mais il devra aussi passer devant les instances législatives, et là, il n’a pas un boulevard devant lui.
Le premier mandat d’un président américain se concentre souvent sur la scène intérieure, c'est bien ce qui se profile?
Joe Biden s’est entouré d’une équipe de relations internationales de très haut niveau, et il faut rappeler qu’il avait lui-même été choisi par Obama pour son expérience en politique étrangère. Les défis intérieurs pour les États-Unis sont très sérieux, mais Joe Biden et son équipe sont trop expérimentés pour ne pas savoir que l'international est aussi un enjeu majeur. Wait and see.
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